
Pourquoi l'industrie pharmaceutique attire de plus en plus les fonds d'investissement ?
Depuis quelques années, l’industrie pharmaceutique suscite un intérêt croissant de la part des fonds d’investissement, qu’ils soient spécialisés en capital-investissement, en infrastructure, en capital développement ou encore en fonds souverains. Ce phénomène, loin d'être anecdotique, s'inscrit dans une tendance lourde de transformation du capitalisme industriel. Le secteur pharma présente une combinaison rare : rentabilité forte, visibilité des revenus, barrières à l’entrée, impact sociétal et opportunités de consolidation. Un exemple récent, très symbolique en France, est la cession par Sanofi de sa filiale Opella chargée de la production du célèbre Doliprane. Cette opération a déclenché une vague d'intérêt de la part de nombreux acteurs du private equity.
Un secteur résilient, même en période de crise
La santé est un besoin universel, permanent et non substituable. Cela confère à l’industrie pharmaceutique une résilience économique exceptionnelle. Que l’on soit en croissance ou en récession, les traitements doivent continuer à être produits, distribués et pris par les patients. Cette caractéristique attire les investisseurs qui cherchent des actifs peu sensibles aux cycles économiques.
La crise du Covid-19 a renforcé cette tendance. En pleine pandémie, les groupes pharmaceutiques ont affiché une solidité opérationnelle et financière qui a séduit les investisseurs : continuité d’activité, contrats massifs avec les États, innovation rapide, marges stables voire en hausse.
Un exemple concret : le cas Doliprane/Sanofi
En octobre 2024, Sanofi a annoncé l’entrée du fonds d’investissement américain Clayton, Dubilier & Rice (CD&R) au capital d’Opella, sa filiale spécialisée dans les médicaments en vente libre, notamment le célèbre Doliprane. CD&R a acquis 50 % du capital, dans le cadre d’une stratégie de recentrage de Sanofi sur ses activités jugées prioritaires : l’innovation, la biotechnologie et la R&D dans les domaines de l’immunologie, de l’oncologie et des maladies rares.
Le site industriel de Lisieux, où est fabriqué le Doliprane, produit plus de 8 milliards de comprimés par an, principalement à destination du marché français. L’opération a rapidement suscité l’intérêt de plusieurs fonds d’investissement, notamment spécialisés dans la santé (PAI Partners, Ardian, BC Partners), ainsi que de fonds industriels et d’infrastructures. C’est finalement CD&R qui a été retenu.
L’attractivité de l’opération repose sur plusieurs éléments clés :
- Une marque emblématique, ancrée dans le quotidien de millions de Français.
- Un outil industriel solide, présentant toutefois des marges d’amélioration en matière de productivité.
- Une forte visibilité des revenus, grâce à une consommation stable et à l’inertie du marché de l’automédication (OTC).
- Un potentiel de croissance à l’international, notamment via des accords de licence ou l’exportation vers de nouveaux marchés.
La transaction a également été suivie de près par les pouvoirs publics et les syndicats, soucieux de préserver le contrôle national sur un actif aussi symbolique. Elle soulève ainsi des enjeux politiques importants, tant pour l’acquéreur que pour Sanofi.
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Des marges attractives et un potentiel d’optimisation
La pharma est l’un des rares secteurs où les marges brutes peuvent dépasser 70 % sur certains produits. Les blockbusters (médicaments vedettes), les génériques rentables ou les médicaments OTC (over the counter, ou médicaments en vente libre) sont particulièrement recherchés.
Le Doliprane illustre bien ce profil. Produit emblématique de Sanofi depuis les années 1960, il représente une marque forte, une notoriété exceptionnelle en France, une récurrence de consommation, et une stabilité réglementaire. L'activité dégage une marge solide tout en étant faiblement exposée à l'innovation ou à la pression concurrentielle.
Les fonds d’investissement savent aussi créer de la valeur via la transformation opérationnelle : modernisation de l'outil industriel, automatisation, réduction des coûts fixes, externalisation de la logistique, amélioration du BFR (besoin en fonds de roulement). Le tout avec une forte capacité à générer du cash.
La souveraineté sanitaire, un catalyseur puissant
Depuis la crise du Covid-19, les États européens veulent relocaliser certaines chaînes de production stratégiques : principes actifs, antibiotiques, génériques essentiels. Cette logique de souveraineté sanitaire ouvre la voie à des partenariats public-privés, des aides à l'investissement, et des conditions de financement attractives.
Pour un fonds, acheter une usine pharmaceutique française comme celle du Doliprane peut s’accompagner :
- De subventions via le plan France Relance ou les appels à projets de Bpifrance.
- D'un soutien politique fort ("Made in France", emploi local, mission d’intérêt général).
- De contrats long terme avec l’assurance maladie ou les hôpitaux publics.
Certains fonds affichent désormais une stratégie "impact", combinant rendement financier et contribution à l’autonomie sanitaire de l’Europe. Ce narratif plaît à leurs investisseurs institutionnels (fonds de pension, mutuelles, banques).
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Un avenir prometteur pour les opérations pharma
L’engouement des fonds pour le secteur pharma n’est pas près de s’arrêter. Plusieurs facteurs y contribuent :
- Le vieillissement de la population, synonyme d’augmentation durable des besoins médicaux.
- La montée en puissance des maladies chroniques (diabète, cancer, Alzheimer).
- L’essor de la santé digitale et de la personnalisation des traitements.
- Le besoin des grands laboratoires de recentrer leur portefeuille pour maintenir leur rentabilité.
On assiste donc à une multiplication d'opérations de carve-out, où des groupes cèdent une division à un fonds. Ces opérations permettent de libérer de la valeur pour le vendeur, tout en offrant à l’acquéreur un actif solide, améliorable, et stratégique.
Ainsi, l’industrie pharmaceutique est au carrefour de trois grandes tendances : rentabilité financière, intérêt géopolitique et impact sociétal. Elle attire donc logiquement les fonds, qui y voient une occasion rare de conjuguer performance économique, utilité publique et visibilité à long terme.